Le cas particulier des Porsche 959 / Toyota Celica
Je vous ai gardé le meilleur pour la fin : une plateforme qui ne ressemble à aucune autre, qui n'a aucun point commun avec aucune autre et qui n'a été utilisée que par deux modèles seulement. Pour la petite histoire, il ne s'agit pas du modèle qui marque les 10 ans de la marque dans le monde du RC : ce rôle a été dévolu au Bigwig. Cependant, ce projet a été mûri de longue date par Tamiya puisque le numéro attribué au premier modèle est loin d'être anodin. Le moins que l'on puisse dire également, c'est que les ingénieurs se sont fait plaisir en concevant ce bijou de technologie qui est un concentré de tout le savoir-faire de la marque, aussi bien au niveau mécanique qu'au niveau esthétique.
Ce châssis ne s'intègre pas du tout dans les stratégies industrielles et commerciales de Tamiya, et pourtant, il est extrêmement important. Concrètement, ce châssis n'a aucune influence directe sur la production d'autres modèles dont il n'emprunte aucune pièce et à qui il n'en a légué aucune non plus. Il ne s'agit pas de l'un des best-sellers de la marque, loin s'en faut : impossible de savoir si Tamiya a gagné de l'argent avec ce châssis, mais il est permis d'en douter rien qu'en imaginant les coûts liés à son développement et sa fabrication.
Le comble est que ce châssis n'est, à franchement parler, bon à rien : il est trop fragile et trop complexe, que ce soit sur piste ou en tout terrain, aussi bien pour un usage compétition que pour un usage loisir. Son utilisation de prédilection est l'exposition en vitrine, si toutefois on a la chance d'en posséder un : curieuse manière de présenter l'un des modèles qui a le plus marqué l'histoire d'une marque et du modélisme radio-commandé en général, n'est-il pas ?
Et pourtant, ce châssis, et tout particulièrement le premier des deux modèles à l'utiliser, possède une valeur considérable aux yeux (et pour le compte en banque) des collectionneurs. Il est également très apprécié des amateurs de modélisme statique, sans oublier les nombreux amateurs de Porsche en général. Pour Tamiya, et dans l'histoire de la RC, il représente la démonstration magistrale d'un savoir-faire de pointe très en avance pour l'époque, qu'il s'agisse du châssis en lui-même comme de la carrosserie et de sa technique de moulage novatrice.
Ce modèle complètement atypique est le kit 58059 Porsche 959 Paris-Dakar Winner sorti en 1986, et dans une moindre mesure son compère qui partage le même châssis à quelques détails près, le modèle 58064 Toyota Celica Gr.B Rally Special sorti l'année suivante.
Ces deux modèles ont été produits à l'échelle 1/12, ce qui a une grande importance car la taille influe directement sur la complexité du le tour de force réalisé par Tamiya. Gardez en tête qu'à l'époque, on ne parle pas encore de variateur électronique : sur ce châssis se trouvent concentrés 2 servos (direction et gaz), le variateur mécanique, le moteur, une suspension hydraulique à double triangulation, un logement d'accu et une transmission 4 roues motrices par cardan central. Le tout à l'échelle 1/12, c'est à dire en l'occurrence, un empattement de 211mm pour des dimensions totales de 381mm de long et 172mm de large. En résumé, ce châssis est le plus complexe et le plus difficile à assembler jamais encore produit par Tamiya, ni encore jamais produit à l'époque. Tout, depuis l'architecture générale, depuis les roues et les pneus spécifiques, jusqu'à la moindre pièce est inédit et ne sera jamais réutilisé par la suite (sauf le moteur RX-540VZ Technigold inauguré par le Bigwig).
La carrosserie est également exceptionnelle : pour ces modèles, Tamiya a utilisé une technique inédite de moulage appelée "blow molding" (moulage par soufflage) qui autorise une précision inégalée dans les détails à partir d'un moule en 2 parties (gauche / droite). Mais surtout, cette technique permet de courber le lexan vers l'intérieur de la carrosserie sur les parties inférieures au lieu de panneaux droits comme c'était le cas jusqu'à présent (observez les boucliers avant et arrière, ainsi que les bas de caisse latéraux). Le résultat est absolument magnifique, mais d'une fragilité sans égale, raison pour laquelle cette technique n'a jamais été ré-employée depuis. Aujourd'hui, on peut obtenir ce niveau de qualité et le même type de résultat moyennant l'utilisation de moules en 3 parties, ce qui simplifie grandement le processus de fabrication et permet une répartition plus homogène de l'épaisseur de lexan sur toutes les parties de la carrosserie.
Difficile de réaliser l'ampleur de la complexité de ce châssis à moins de pouvoir l'observer directement, ou mieux encore, de l'assembler. Cependant, les images cliquables qui suivent aideront à prendre la mesure du tour de force réalisé par les ingénieurs de Tamiya. Ce sont les scans en haute résolution de pages issues des catalogues ou des RC Guide Books de l'époque : elles illustrent des détails très intéressants concernant la Porsche 959. Notamment : un éclaté de toutes les pièces du kit, la présentation "catalogue" du modèle complet + châssis nu, le dessin technique du châssis et enfin 2 photos du modèle en action.
La première des deux dernières photos illustrant le modèle en action est magnifique, mais elle n'est pas vraiment réaliste. Tamiya n'a pas menti en publiant cette photos : il est parfaitement possible de réaliser des clichés équivalents, ou pour le moins, le modèle est tout à fait capable de rouler de cette manière et de sauter un petit tremplin. En revanche, il sera impératif de réussir les clichés au premier essai car il est peu probable que le modèle puisse répéter ces figures pendant longtemps : en effet, le châssis est extrêmement fragile, en particulier au niveau de la jonction du carter de transmission avant avec le châssis, au niveau des triangles inférieurs et au niveau de l'ancrage des amortisseurs sur les triangles inférieurs.
Et que dire de la carrosserie : au moindre impact, elle vole littéralement en éclats. A l'époque, Tamiya avait également rencontré des problèmes de qualité sur les premiers exemplaires à cause de la technique de moulage inédite : la carrosserie de certains des premiers kits présentait des trous aux endroits où le lexan était trop fin et des carrosseries de remplacement étaient fournies gratuitement pour les remplacer. Par la suite, Tamiya a rencontré un autre problème, cette fois au niveau de la décoration du modèle : les lois anti-tabac ont fleuri partout dans le monde pendant la commercialisation du modèle, interdisant jusqu'à la reproduction des sponsors sur les modèles réduits qui représentaient pourtant de vrais véhicules ayant existé avec ces livrées. Autant la question de santé publique ne saurait être discutée, autant l'intégrisme dans son application peut laisser pour le moins dubitatif. Résultat, Tamiya a été contraint de transformer la livrée Rothmans originale en une "Racing" qui reprenait le même thème graphique mais qui dénature assurément l'authenticité du modèle.
Toujours à propos de la carrosserie, il s'avère que la livrée Rothmans est l'une des plus complexes à peindre. Quant à la jonction de l'aileron arrière en ABS avec la carrosserie en lexan, le tout recouvert d'un autocollant de couleur dorée, c'est un exercice très délicat qui exige à la fois talent et minutie pour un résultat optimal. Mais ce n'est pas tout : un cockpit complet et très détaillé était fourni, avec pilote et co-pilote, qui couvre l'ensemble de la surface visible par le vitrage de la voiture, ainsi qu'un kit lumière pour les phares avant, accentuant encore davantage le réalisme du modèle.
Pour conclure, avant de laisser la place aux vidéos de promotion de ces deux modèles d'exception, ce châssis est une exception dans tous les sens du terme :
- au sein de la gamme Tamiya avec laquelle il ne partage rien ou presque et à laquelle il n'a rien légué ou presque
- par la considérable somme de travail et d'ingénierie que représentent à la fois le châssis et la carrosserie
- par l'avant-gardisme des techniques utilisées dans l'agencement du châssis et de la technique de moulage de la carrosserie
- par l'ampleur de la démonstration technique d'un savoir-faire en avance sur son temps
Il est peu probable qu'un modèle qui rassemble autant "d'exceptionnel" puisse être conçu et commercialisé un jour étant données les contraintes économiques du monde moderne. Pourtant, certains modèles se rapprocheront de cela à l'avenir, je pense notamment à l'Avante chez Tamiya. Mais nous en reparlerons plus tard
Porsche 959 Paris-Dakar 1986 Rally Winner (© Tamiya)
Toyota Celica Gr.B Rally Special (© Tamiya)
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