Glenn Morris

Assis dans mon fauteuil en cuir râpé, les pieds posés sur mon bureau à coté de ma machine à écrire, je regardais la pluie ruisseler sur la fenêtre de mon bureau en sirotant un Aberlour un peu trop tiède. Cela faisait plusieurs mois maintenant que je ramais. Après avoir facilement repris contact avec quelques anciennes gloires et facilement ébloui les patrons du fameux site Black Hole Sun, j’avais du mal à contacter de nouveaux pilotes. Adieu la gloire, l’argent et les femmes que mes talents de journaliste m’avaient fait miroiter. Beaucoup de ces pilotes s’étaient mariés, avaient eu des enfants et ne souhaitaient plus entendre parler de courses RC.
Je commençais à désespérer lorsque le téléphone sonna.
 

Allo ? 

? : J’ai entendu dire que vous cherchez des informations à propos d’anciens pilotes RC ? 

Euh... oui... A qui ai-je l’honneur ? 

? : Retrouvez-moi au Harry’s bar à 19h00. clic ! 

Estomaqué, je me lève, fais quelques pas et regarde l’heure sur mon Heuer Autavia. Il est 18h15.
Le temps de rassembler mes idées, de me doucher, j’attrape mon vieil imperméable et mon chapeau puis monte dans mon pickup Toyota.
 

Arrivé dans le Harry’s Bar, un homme attablé au bar me regarde. Il est assez grand, porte une chemise bon marché un vieux blouson et des chaussures à semelle en crêpe. Son crâne dégarni et sa légère surcharge pondérale lui donnent un air tant sympathique qu’inoffensif. 

Tamiya 58041 The Frog Driver

Nom :
Surnom :
Modèle :

Glenn Morris
-
58041 The Frog (1983)

 

? : Vous êtes BaraToZ ? 

Oui 

? : Excusez cette prise de contact. Asseyons-nous. 

Il commande deux bières. 

? : BaraToZ, je ne sais pas si vous allez me croire, mais j’étais pilote officiel Tamiya dans les années 70 et 80. 

-Dubitatif- Pourquoi ne vous croirais-je pas ? Quels véhicules avez-vous piloté ? 

? : Je m’appelle Glenn Morris et... 

Vous êtes Glenn Morris !? La légende du Frog ?! 

Glenn Morris : Oui... vous voyez, vous avez du mal à le croire mais c’est bien moi. A la fin des années 70, j’étais simple technicien chez Tamiya en charge du montage des prototypes des FAV et Wild One. 

J’étais un passionné et je ne comptais pas mes heures alors lorsque le projet ORV a été lancé par la direction ils ont cherché des hommes motivés qui voulaient s’investir. Ils m’ont proposé un poste de direction de projet. Personnellement, je voulais créer un véhicule de course performant, quelque chose de novateur qui marquerait son époque, un peu comme Perry avec l’Avante quelques années plus tard. Mais Tamiya voulait un véhicule plus classique qui pourrait à la fois être utilisé au quotidien et aussi ponctuellement en course.

Pourtant votre nom est lié au Frog, qui est tout sauf un véhicule de tous les jours ! 

Glenn Morris : Oui, bien sûr, mais ce que peu de personnes savent c’est que c’est également moi qui ai mis au point et piloté la Subaru Brat. C’est d’abord sur cette voiture que j’ai travaillé et j’en ai aussi été le pilote. Comme ce véhicule n’était pas destiné à la compétition, Tamiya a souhaité que je reste anonyme, mais cela ne m’a pas empêché de participer à son bord à de célèbres courses qui ont marqué l’histoire comme le "Challenge du tremplin devant le garage des Gourmartigues" ou encore "La montée infernale du lit superposé de la chambre à Cédric".
Ce n’est que par la suite que j’ai eu le feu vert pour développer le Frog à partir du châssis du Brat. 

Tamiya devait sans doute aussi vouloir vous remercier, quel a été le cahier des charges ? 

Glenn Morris : La spécificité de cette série était son fameux châssis ORV. Avec le Frog, je voulais réaliser un véhicule comme le Brat, dédié au plaisir, mais qui serait plus performant que son prédécesseur, voire capable de s’aligner sur circuit à l’occasion. J’ai fait reprendre la monte pneumatique à picots spéciaux du Super Champ qui donnaient une motricité suffisante pour des motorisations puissantes. La carrosserie avec ses tons roses et ses petits drapeaux se voulait amusante car je n’ai jamais aimé me prendre au sérieux. Le châssis avait un traitement haut de gamme avec de nombreuses pièces métalliques, comme tous les engins des premières générations de chez Tamiya. 

Au final mes espoirs furent plus que comblés. Le succès de la voiture, autant que le mien en tant que pilote, furent énormes et j’ai vécu une période incroyable ! J’allais de courses en courses, les fans hurlaient en me voyant, le Frog était à la fois un véritable plaisir à conduire et offrait aussi d’excellentes performances pour l’époque. Parallèlement, les soirées se succédaient, les nuits étaient courtes et tout aussi pleines de bulles alcoolisées que de jolies poupées. C’était fou, et encore je ne peux pas tout vous raconter ! 

C'est effectivement assez incroyable. 

Glenn marque un temps, je vois sur son visage que ma remarque le blesse. Néanmoins, j’ai du mal à voir en ce papa gâteau vieillissant un pilote de légende. 

Glenn Morris : Tu sais la vie d’un homme comporte plusieurs phases... on peut changer. La gloire ne permet pas toujours d’accéder au bonheur ! 

Je préfère me taire et laisser Glenn vider son sac. 

Par la suite, Tamiya voulut développer toute une gamme à partir du châssis du Frog et du Brat. Ils voulaient concurrencer d’autres marques qui sortaient des véhicules à grosses roues peu performants dans l’absolu mais extrêmement drôles à piloter. C’était la mode à l’époque, alors ils m’ont proposé de travailler sur ces modèles, m’offrant budget et perspectives. 

Formidable, vous deviez être comblé. 

Glenn Morris : Oui...oui. Mais... il s’est passé quelque chose. 

Glenn sourit, le regard dans le vide. Puis il rompt le silence. 

C’est à ce moment là que j’ai rencontré ma femme. Une superbe blonde. C’était une de mes fans. J’en suis tombé raide amoureux. Rapidement la direction de chez Tamiya s’est rendue compte que j’avais changé. Ils ne pouvaient se permettre d’avoir un pilote/développeur moins motivé alors ils ont fait appel à d’autres jeunes loups motivés. 

Avez-vous des regrets ? 

Glenn Morris : Tamiya a recruté Ramblin Ron et Albert Attaboy pour prendre ma suite et faire évoluer le Frog vers les Blackfoot et Monster Beetle. Ne pouvant supporter d’être relégué au second plan j’ai préféré prendre ma retraite. 

De plus ma femme était enceinte, elle me demandait beaucoup de temps et d’attention. J’ai tout laissé pour elle, la gloire, les course, la mécanique et les modèles sur lesquels je travaillais. Je les ai tout d’abord rangés en me disant que j’aurai bien le temps de m’en occuper de temps en temps, mais au final j’ai dû les abandonner. Elle ne me l’a pas vraiment demandé mais j’ai senti que cela était nécessaire. 

J’ai fini par trouver un boulot dans un bureau et j’ai profité de la vie de famille. Mes abdominaux ont disparu et mes cheveux sont tombés mais je ne regrette pas cette période. 

Pourquoi avoir fait tout ce mystère au téléphone tout à l’heure ? 

Glenn Morris : Allons ! Je pensais qu’un journaliste de votre trempe aurait deviné ! C’est à cause de ma femme bien sûr ! Vous le savez, elles savent tout, elles devinent tout ! Si elle avait su que j’allais faire une interview à propos de courses RC, cela aurait fait toute une histoire dont seules les femmes ont le secret ! 

De plus vous ne le savez pas encore mais il y a quelques temps Tamiya m’a recontacté. Ils refabriquent le Frog et plus personne n’a les compétences pour ! Ils ont dû refaire appel à moi. J’ai tenté de refuser mais... vous savez bien : les passions et les hommes changent mais le coeur reste intact. Je n’ai pas pu résister au plaisir de recommencer à travailler sur mon ancienne passion en cachette ! Je ne suis pas le seul dans ce cas, d’autres retraités ont fait leur come back ! D’ailleurs certaines rumeurs annoncent que Tamiya serait à la recherche d’Albert Attaboy, mais je ne peux pas trop en parler pour l’instant. 

(sourire) Glenn, vous l’avez dit vous-même, on ne peut pas cacher les choses longtemps à sa femme. 

Glenn Morris : Oui, vous avez raison. Il faudra que je le lui dise, mais pour l’instant je me sens un peu coupable, comme si j’avais rencontré par hasard une petite amie de jeunesse... 

Je comprends bien cela, et nos lecteurs aussi j’en suis sûr. Merci à vous Glenn, merci pour cette histoire passionnante. Manifestement, on va à nouveau entendre parler de vous, du Frog et... de votre femme ! 

Glenn me salue chaleureusement, ramasse son parapluie et remet son vieux blouson. Il me lance un dernier regard avant de sortir en souriant.
J’inspire profondément et pense à l’histoire de Glenn. Je me dis que nous pouvons avoir plusieurs passions, plusieurs époques au cours de nos vies, et que chacune d’entre elles nous enrichit. Malgré cela, ce qui pousse et anime un homme de passion reste toujours intact au fond de lui.
Je me lève et me dirige vers la sortie du bar, la nuit tombe maintenant... mais la pluie s’est arrêtée...

 

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